Soumis par Luce Langis le 19 mai 2019
Le 16 mai dernier avait lieu, au TNM, la grande première internationale de la toute dernière pièce de Michel-Marc Bouchard, « La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé ». Un pur moment de grâce! Courez-y! Durant cette pièce de près de deux heures, l’auteur nous entraîne dans les méandres de cette histoire surprenante et intrigante, où une jeune femme tentera de mettre à jour et de réparer une profonde injustice commise dans son enfance…
Telle des poupées russes – et construite avec le doigté et la minutie d’un grand horloger, – cette histoire nous dévoile, petit à petit, juste ce qu’il faut savoir pour la compréhension du récit. Ce dosage, parfaitement réussi, nous tient en haleine à travers ce voyage aux allures de thriller psychologique, où la recherche de la vérité se heurte à mille résistances…
La mise en scène est assurée par l’excellent Serge Denoncourt, qui signe avec l’auteur sa huitième collaboration fructueuse. D’ailleurs, toute la fidèle équipe technique est toujours réunie autour de Michel-Marc Bouchard. Aux costumes, on retrouve Mérédith Caron, qui signe sa 25ème conception de constumes au TNM; à la scénographie, Guillaume Lord, qui sait si bien marier les éléments techniques aux symboles de la pièce; enfin, aux éclairages, Martin Labrecque, qui fait encore ici un travail magnifique.
Cette nouvelle création de l’auteur québécois réunit une distribution « toute étoile ». Dans le rôle principal, on retrouve Julie Le Breton, qui incarne Mireille Larouche, cette illustre thanatologue, qui pratique l’art de redonner aux morts un aspect tranquille et apaisé. Son frère aîné, Julien Larouche (Patrick Hivon) est marié à Chantale (Magalie Lépine-Blondeau). Le frère cadet, Denis Larouche (Éric Bruneau) est suivi dans la fratrie par le benjamin Éliot Larouche (Mathieu Ricard). Le seul personnage n’appartenant pas à la famille est Mégane Tremblay (Kim Despatis), une jeune thanatologue qui fera le lien entre le lieu physique de la salle de thanatologie et le lieu abstrait de ce microcosme familial.
L’histoire commence quelque trente ans après l’événement traumatique qui a sclérosé la psyché familiale de cette fratrie du Lac St-Jean. De l’âge de 7 à 12 ans, la jeune Mireille, insomniaque, allait visiter durant la nuit les dormeurs de son entourage. Elle aimait voir ces corps « dans leur plus total abandon, débarrassés de toute forme de conscience, d’a priori. » Un jour, cependant, l’un d’eux, son voisin Laurier Gaudreault, s’est réveillé… Une tragédie a alors lieu à ce moment précis. Seuls Mireille, son frère Julien et Laurier Gaudreault sauront réellement ce qui s’est passé, et maintiendront le secret durant toutes ces années.
Comme dans plusieurs pièces de Bouchard, le mouton noir de la fratrie – celui qui détient la clé du traumatisme familial – s’expatriera de sa famille et de son lieu de naissance, pour mieux revenir, plusieurs années plus tard, afin de régler ses comptes avec ce passé. C’est ainsi que Mireille revient, à la mort de sa mère, sur les lieux de son enfance. Investie de valeurs du sacré, elle désire redonner à sa mère une image apaisée et un honneur posthume : elle veut lui faire porter une robe magnifique d’Alexander McQueen, inspirée de l’art bysantin. Mireille est à la recherche de rédemption : la sienne et celle de sa fratrie, tous concernés par ce mensonge troublant, non-dit, qui règne au sein de sa famille comme l’éléphant dans la pièce. Revenant au sein d’une famille, qui elle, est restée la même depuis toutes ces années, Mireille aura à affronter le mensonge sous-jacent couvert par le flot ininterrompu de paroles banales et insipides de sa belle-soeur et de ses frères.
Lentement, cependant, sous le scalpel de la vérité, s’accordant métaphoriquement aux incisions du scalpel de la thanatologue, surgira l’étonnante vérité réparatrice de cette famille.
Une histoire fascinante, une progression dramatique précise, des personnages haut en couleur, une critique sociale, de l’humour : tous les ingrédients sont réunis pour nous faire vivre intensément le secret et la rédemption d’une famille.
A voir au TNM jusqu’au 13 juin.