Du 28 février au 30 mars 2024, le Théâtre Gilles-Duceppe présente « Moi, dans les ruines rouges du siècle », un texte écrit par le dramaturge Olivier Kemeid, à partir de la vie du comédien ukrainien Sasha Samar, et interprété par lui-même.
Sur une scène très dépouillée – à l’image des appartements prolétaires ukrainiens – on retrouve une petite table ainsi qu’un banc de train, pour tout univers d’un couple et d’un enfant. La femme est vive; elle semble heureuse et épanouie. Elle danse toujours et aime sortir. A l’opposé, le père, handicapé, ne sort pas et refuse que sa femme sorte autant, lui reprochant de ne pas s’occuper suffisamment de leur fils – ce qui est faux, bien sûr. Cette dichotomie entre leurs personnalités aura raison de leur mariage. La mère quitte donc le mari, en emportant son fils avec elle. Ce n’est que plusieurs mois plus tard qu’elle reviendra pour laisser Sasha avec son père pendant l’été. Pour le père, l’enfant est tout son univers et il finira par le kidnapper en douce, alors que Sasha n’a que 3 ans. Quelques années s’écoulent, durant lesquelles le père refait sa vie avec une autre femme. Ce n’est qu’à l’âge de 7 ans que Sasha apprendra que cette femme n’est pas sa mère… Cet événement traumatique sera pour Sasha le début d’une poursuite de la célébrité, afin que sa mère puisse « le voir sur un écran de télévision et qu’elle vienne le re-chercher. »
Retrouver sa mère…
Dès lors, l’enfant n’aura qu’un seul but : retrouver sa mère… C’est la raison pour laquelle il devient comédien : un jour, peut-être, deviendra-t-il célèbre, et alors, il pourra retrouver sa mère… La quête identitaire de Sasha rejoindra celle de la nation ukrainienne, alors en perte totale de repères, dans les années quatre-vingt, et toujours sous le joug de l’URSS. C’est donc une mise en abyme – très réussie – qu’exploite Kemeid dans cette pièce.
Nous sommes ici dans une Ukraine vacillante, qui a été tyrannisée par l’URSS durant tout le XXème siècle. Exactions, torture, meurtres, expatriement des nationalistes ukrainiens vers la Sibérie, dans des camps de concentration… La moindre pensée qui n’était pas pro-russe était aussitôt éliminée; le pouvoir russe ne tolérait aucune incartade. Ainsi, l’Ukraine a vu nombre de ses habitants tués et une famine forcée (l’Holodomor), organisée par Staline, a éliminé plus de 3 millions de paysans ukrainiens en 1921. C’est donc dans ce contexte d’après Staline, après un siècle de souffrances, que le peuple ukrainien tente de retrouver ses repères et de reconstruire son pays. Lorsque Sasha naît, en 1969, l’Ukraine est toujours sous le joug de l’URSS. Ce n’est qu’en 1991 que l’Ukraine acquerra son indépendance. Entretemps, il y aura la catastrophe de Tchernobyl, le triomphe de la gymnaste Nadia Comaneci aux Jeux Olympiques de 1980, l’échec de la Glasnost (signifie Liberté de parole) et de la Pérestroïka (reconstruction) du président Gorbatchev, de 1985 à 1991.
En filigrane…
Ce sont tous ces événements historiques qui se retrouvent en filigrane dans la pièce « Moi, dans les ruines rouges du siècle », chevauchant l’histoire personnelle de Sasha, le principal protagoniste.
Sasha tentera lui aussi de se reconstruire, aux côtés d’un ami comédien qui tente de ressusciter Staline et d’une amoureuse qui ne l’attendra pas, durant le service militaire obligatoire.
Comme tout passe… Sasha retrouvera enfin la paix au Canada et se refera une famille bien à lui.
Excellente pièce, au volet historique chapeautant une histoire personnelle.
Texte et mise en scène : Olivier Kemeid
Idée originale : Sasha Samar
Crédit Photo : Danny Taillon
A voir sans faute jusqu’au 30 mars!
https://duceppe.com/moi-dans-les-ruines-rouges-du-siecle/