Du 19 mars au 17 avril, le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) présente la farce tragique « Le père », de l’excellent dramaturge français Florian Zeller, dans une adaptation de Emmanuel Reichenbach, avec Marc Messier, dans le rôle-titre. Il est si excellent que le rôle semble avoir été écrit spécialement pour lui! Le choix de l’auteur, de nous faire vivre de l’intérieur le drame de l’Alzeimer, est on ne peut plus efficace!
On pourrait résumer la pièce ainsi : « Tempus fugit » et tout ce qui restait de nous s’en va aussi…
Le drame de l’Alzeimer touche plus de 110, 000 personnes au Québec, et les chiffres ne vont qu’en s’accroissant, à mesure que la population vieillit. Le phénomène s’étend partout dans le monde. Il est donc très à propos d’en parler, autant par des campagnes d’information qu’à travers les arts, qui ont toujours constitué l’un des meilleurs moyens de sensibilisation et de dédramatisation.
Le très prolifique dramaturge et scénariste Florian Zeller a écrit, entre autres, la trilogie familiale La mère (2010), Le père (2012) et Fils (2018). La presque totalité de ses pièces traite des relations étroites et complexes qui se nouent entre les êtres, que ce soit au niveau amoureux ou filial. Il pointe son regard incisif et sensible sur les dédales, les détours et les esquives qui se font et se défont au gré des événements vécus par les êtres humains complexes que nous sommes. Le terrain de jeu est donc infini!

Dans « Le Père », Anne (Catherine Trudeau) cherche une solution pérenne pour André, son père (Marc Messier) atteint d’Alzeimer. L’auteur a choisi de nous faire voir de l’intérieur le trouble, la confusion, les réactions de colère et de découragement qui s’abattent sur la personne atteinte de démence. Par la répétition des mots, et en ne présentant pas les scènes en ordre chronologique, le dramaturge nous plonge dans le même état de confusion que le serait la personne atteinte. Nous nous retrouvons donc littéralement dans la peau du malade, en vivant les mêmes émotions et frustrations que lui. Impossible alors de s’enfuir de cette réalité cauchemardesque!
Les aide-soignantes se succèdent, sans que le père ne les reconnaisse, les conjoints de sa fille Anne s’inter-changent à ses yeux, les meubles de la maison disparaissent, les différents appartements habités lui paraissent toujours le même… La montre à son poignet devient sa seule référence pour distinguer le jour et le soir; le pyjama devient donc le seul vêtement porté, puisque les heures n’existent plus… Même sa fille semble changer d’apparence et il ne la reconnaît plus. Son univers se rétrécit tellement qu’il n’est plus, dans les dernières phases de la maladie, qu’un petit garçon apeuré, se réfugiant dans les bras de l’infirmière.
Après le déni de la maladie viennent les phases de plus en plus aiguës de la confusion, de l’oubli, de la révolte, puis de l’abandon final. On comprend alors qu’il est impossible, pour la personne atteinte, d’éviter de ressentir tous ces sentiments de colère, de révolte, de paranoïa et d’agressivité face aux proches. Et pour ces derniers, continuer de prendre soin d’une personne ainsi atteinte devient une tâche titanesque, voire impossible.
C’est la problématique dans laquelle Anne, l’aimante et généreuse fille d’André, aura à se débattre, tout au long de la pièce…
« Le Père » est une pièce intense, poignante avec, heureusement, des moments ludiques, drôles et légers, qui font rire les spectateurs, mais dont le sujet tragique nous prend néanmoins par les tripes, en nous faisant réfléchir à la lente et douloureuse disparition des êtres chers…
La mise en scène sobre, d’ Édith Patenaude, et le décor dépouillé d’ Odile Gamache et de Julie Measroch permettent au texte de prendre tout l’espace et la portée qu’il requiert.
Avec Marc Messier, Catherine Trudeau, Adrien Bletton, Sofia Blondin, Fayolle Jean Jr et Noémie O’Farrel.
Crédit photo : Yves Renaud
Une autre belle pépite de Florian Zeller, à voir jusqu’au 17 avril au TNM.