Trente ans après sa création, en 1990, le TNM reprend la version intégrale de l’Opéra romantique Nelligan, du 14 janvier au 15 février 2020. Dans un dialogue entre le vieux Nelligan, âgé de 60 ans – et interné depuis 41 ans – et le jeune Nelligan fougueux de 20 ans, se déroule la trame de sa vie, qui nous est racontée. La colonne vertébrale de cet opéra repose sur les épaules de deux grands créateurs d’ici, soit André Gagnon pour la musique et Michel Tremblay pour le livret. Sous la direction du metteur en scène Normand Chouinard, on retrouve le ténor Marc Hervieux, dans le rôle du vieux Nelligan, et le baryton Dominique Côté, dans celui du jeune Nelligan. Le même trio est aujourd’hui réuni pour présenter cette nouvelle version de l’Opéra Nelligan, dans des arrangements musicaux de Anthony Rosankovic.
C’est Marc Hervieux qui, après l’avoir chanté en 2010 et en 2012 à l’Opéra lyrique de Montréal, rêvait de le refaire sur les planches du TNM et l’a ainsi proposé à Lorraine Pintal. Cette fois, le ténor insistait pour être entouré d’acteurs qui chantent, et non pas de chanteurs qui jouent. Là réside toute la différence de cette production. En effet, on a mis l’accent sur l’histoire et le récit, plutôt que sur les performances vocales. Pour créer cette atmosphère intimiste, on a choisi l’accompagnement de 2 pianos et d’un violoncelle, présents sur scène, et rendant ainsi plus prégnant le romantisme qui se dégageait du salon de Nelligan.
L’histoire du poète
A l’adolescence, Émile Nelligan est déjà un poète accompli, qui a écrit des chefs d’oeuvre, tels le « Vaisseau d’or » et le très connu « Ah comme la neige a neigé ». Poète tourmenté et d’une sensibilité exacerbée, il écrit le jour et rejoint ses amis poètes le soir, s’enivrant avec eux et récitant les vers de Verlaine, de Rimbaud et de Mallarmé… Cette vie de bohème lui convient parfaitement, mais ne plaira définitivement pas à son père, le très sérieux David Nelligan…
Tragiquement déchiré entre un père anglophone intransigeant (Frayne McCarthy) qui le rejette et une mère francophone aimante, Émilie Hudon (Kathleen Fortin), il écrira toute son œuvre – sauf un poème, écrit en institution – avant l’âge de 20 ans. Son père, être pragmatique et contrôlant, est aux antipodes de la nature de son fils Émile. Après de violentes disputes avec ce dernier, il le rejettera et le fera interner à l’âge de 19 ans. Sa mère, qui l’aime et avec laquelle il a une relation fusionnelle, l’abandonnera pourtant elle aussi. Sans la présence de son fils auprès d’elle, elle s’étiolera et errera alors comme une âme en peine dans la maison. Tout comme son meilleur ami, Arthur De Bussières (Isabeau Proulx-Lemire), ses sœurs, Gertrude Nelligan (Nathalie Doummar) et Eva Nelligan (Laetitia Isambert) le rejetteront à leur tour.
Comme le dit si bien Marc Hervieux, « Emile Nelligan est né à la mauvaise époque. Aujourd’hui, on profiterait de son génie créatif vraiment longtemps et ça serait un beau fou comme on les aime. » En effet, cette période de la vie de Nelligan (1879- 1941) correspond à une époque plutôt noire, très rigide et extrêmement conservatrice de l’Histoire du Québec, dominé alors par la très puissante religion catholique. Il n’est donc pas surprenant que cette élite catholique, constituée essentiellement de prêtres et de religieuses, l’aient totalement rejeté et promptement écarté de la société, en le faisant interner. Plusieurs scènes de l’Opéra et les éléments du décor (créé par le scénographe Jean Bard) en témoignent, de par leur minimalisme et leur dépouillement.
Le traitement
Mettre en scène de la poésie chantée n’est jamais chose aisée, et a rarement, selon moi, un résultat satisfaisant. Le fait que ce soit des paroles chantées plutôt que de véritables chansons alourdit toujours – et de beaucoup – le chant. On sent une réelle lourdeur dans la fin des phrases, comme si on avait forcé la note pour dire tous les mots nécessaires. A plusieurs reprises, je me suis dit qu’il aurait mieux valu en faire un texte dit plutôt que chanté. Bien que le texte ait été chanté de façon très théâtrale, je me suis demandé si la forme théâtrale pure n’aurait pas mieux servi le texte. Ceci m’a aussi donné l’impression que cet opéra, d’une durée de plus de 2 heures, aurait gagné à être un peu raccourci. Quoi qu’il en soit, le fait que l’on apprenne énormément sur la vie de Nelligan, vaut amplement le déplacement, et la production est intéressante.
Certains ont même fait le parallèle entre la vie de Nelligan et le destin du Québec… A méditer…
Au TNM, jusqu’au 15 février, puis en tournée à travers le Québec jusqu’au 20 mars.